lundi 4 juillet 2011

Iowa - Le potager de l'Amérique

Les 10, 11 et 12 juin

Des Moines et Madison County



Nous poursuivons notre cheminement sur la I-80 vers l'Ouest.

Le paysage change dès qu'on s'éloigne des villes autour de Chicago. Les petites fermes et les petits boisés du Michigan deviennent peu à peu un souvenir.

La plaine du Mid-West américain n'est pas un terrain plat; c'est plutôt une plaine vallonnée, très agréable à l’œil. À la limite ouest de l'Illinois, on enjambe le Mississippi qui a déjà l'allure d'un grand fleuve. On pénètre en Iowa, le potager de l'Amérique. C'est une région agricole avant tout, mais on y trouve aussi une activité industrielle, principalement liée à l'agro-alimentaire. 





Il a beaucoup plu et le temps a été frais tout au long des mois de mai et juin partout en Amérique du Nord. Les champs n'absorbent plus l'eau des orages qui se succèdent de façon un peu déprimante.


Les distances sont longues. Nous passons la journée sur la route. Nous arrivons en fin d'après-midi à Des Moines. Le soleil fait une apparition dès que nous arrivons au terrain de camping. Les francophones d'Amérique tout autant que ceux d'Europe et d'Afrique ne reconnaîtront pas la façon dont les Américains prononcent le nom de la capitale de l'Iowa : Des Moines. Il est d'ailleurs difficile de le transcrire avec fidélité.


Samedi matin...

Nous sommes partis depuis plus d'une semaine. Il est temps d'aller faire notre marché pour remplir le garde-manger et le réfrigérateur : œufs, fromages, pain, fruits et légumes... Nous nous rendons donc au « Farmers' Market", le marché des fermiers au cœur historique de la ville de Des Moines... une véritable fête qui attire plus de 15 000 personnes à chaque semaine. Il est difficile de trouver du stationnement.




La foule est dense. Le soleil suscite la bonne humeur, autant chez les producteurs que chez les clients. L'ambiance est festive. On jase avec les producteurs, on goûte, on se laisse tenter. Nous avons trouvé du bon « bacon » aromatisé aux bois de pommier, « un » bon fromage (un peu dispendieux toutefois), du pain artisanal, un miel délicieux. Et on découvre que les Québécois n'ont rien à envier aux gens de la place. 


Le vendeur de miel
On y trouve de tout : pas seulement les producteurs d'aliments venus de tous les coins de l'état,
mais aussi des
artisans...
Dans un article qui a été publié il y a plus d'une centaine d'années sur l'art de voyager, Hermann Hesse déplorait la mauvaise habitude de ses compatriotes de vouloir retrouver à l'étranger ce qu'ils ont pourtant laissé chez eux : exiger, par exemple, une bière à leur goût en Sicile.

Toutefois, tout en demeurant ouvert d'esprit et en adoptant une attitude de curiosité, il est bien naturel de comparer. Nous ne nous attendions pas à trouver les produits auxquels nous sommes habitués au Québec. Mais nous avons été surpris du peu de variété et de la qualité moyenne de la production locale en Iowa. C'est à se demander comment une nation qui se vante de la diversité de ses origines, composée de gens dont les ancêtres sont venus de toutes les régions du monde, on a pu oublier comment préparer la nourriture. Le modèle dominant du marché -- dont la main est théoriquement aveugle, et qui devrait offrir ce qu'il y a de mieux aux clients -- impose plutôt une uniformisation des goûts, un nivellement de la qualité par le bas, la facilité.


Samedi après-midi

Nous avons poursuivi notre exploration de l'univers rural de l'Iowa en visitant le site thématique du « Living History Farms ». Nous y avons passé un moment des plus instructifs et agréables. 



Le site est situé au cœur de la région urbaine de Des Moines. Pourtant, dès qu'on sort du centre d'accueil, on a l'impression de se retrouver non seulement en campagne, mais aussi dans un autre siècle. Il faut traverser la reconstitution d'un village rural typique de la fin du 19e siècle (1875) pour se faire conduire, de façon très moderne, dans l'univers de trois fermes de trois époques différentes : une ferme du 17e siècle, du peuple des Ioway, qui ont commercé avec les Français du temps de la Nouvelle France; une deuxième ferme, des années 1850 des premiers colons américains, et une troisième, un demi-siècle plus tard, des descendants de ces colons.

Reconstitution : Village de Walnut Hill, 1875
Ce qui nous a le plus impressionné de cette visite, c'est le souci pédagogique qui anime cette entreprise. Tout ce qu'on y montre est le résultat de recherches historiques sérieuses et bien documentées.

Plusieurs conversations avec les animateurs (docent) qui nous expliquent la vie quotidienne des gens il y a quelques centaines d'années nous ont révélé qu'ils et elles sont des diplômés de sciences humaines, surtout en histoire. Ils sont employés à plein temps, toute l'année, et non pas seulement pendant la saison touristique. Ils vont dans les écoles de la région, animent des conversations entre des jeunes et des personnes âgées, afin de stimuler le partage des expériences et de rendre vivante cette transmission des connaissances sur le passé.

Le magasin général était un centre communautaire à l'époque. On y trouvait souvent le bureau de poste.

En plus de tenir magasin, la modiste aujourd'hui poursuit des études en histoire.
Reconstitution d'une ferme du début du 20è siècle

Les ponts de Madison County

Dimanche matin... Le temps était incertain lorsque nous avons entrepris une activité typique du dimanche : laisser couler le temps, lentement, faire une randonnée en automobile pour visiter les ponts de Madison County.


Madison County, le dimanche, c'est tranquille. Comme dans le film de Clint Eastwood, qui le mettait en vedette avec Meryl Streep.

Les ponts couverts de Madison County sont toujours bien conservés. Et ils attirent beaucoup de visiteurs, ce qui suscite une activité économique qu'on apprécie dans la région. Nous ne sommes pas les seuls à les avoir visités ce jour-là.

Il faut bien avouer que ces ponts conservent un cachet bien romantique. Mais ce n'est pas leur seule valeur et la Chambre de commerce locale du chef-lieu du comté le sait bien. Ils ont acquis, grâce à la popularité inattendue du film, une valeur commerciale. On n'aura pas avantage à les abandonner, à les laisser dépérir.

Il n'y a pas beaucoup d'activité à Winterset le dimanche matin, même au début de la saison touristique. Un service religieux... à deux pas de la maison natale de John Wayne. Puisque Winterset, le chef-lieu du comté, est aussi le village natal de John Wayne. Celui-ci attire tout autant les visiteurs que les ponts d'ailleurs. Mais ce n'est pas la même clientèle.

Il est intéressant d'observer le contraste entre les deux modèles d'homme que représentent John Wayne et Clint Eastwood : deux générations différentes, mais encore plus, deux systèmes de valeurs. L'agent en service au bureau d'information touristique de Winterset nous a confié qu'il pouvait d'ailleurs reconnaître, avant même qu'ils s'identifient, les touristes intéressés à l'un plutôt qu'à l'autre, entre John Wayne d'une part et les « fans » de Clint Eastwood.

Ceux qui ont vu le film se souviendront d'une scène dans un restaurant où le personnage de Clint Eastwood se lève sans terminer son café pour protester contre l'esprit mesquin des gens de la place. Nous y avons pris notre repas du midi. Une dame d'un âge respectable a dit à ma conjointe : « You're so young... For you, it's Clint Eastwood... John Wayne is more my type of man. »

Le film « The Bridges of Madison County » est basé sur un roman, qui raconte une histoire vraie. C'est d'ailleurs presque un reportage autant qu'un roman. Le personnage que joue Clint Eastwood dans le roman a existé. Il a fait un reportage photographique pour le National Geographic. Le personnage de la femme, Francesca, que joue Meryl Streep, a aussi existé.

C'est un tableau bien fidèle de l'Amérique de l'époque des années 50 ... 


Finalement, le soleil a parfois percé les nuages au cours de la journée. Parfois, il est tombé quelques goûtes, sans nous importuner toutefois. Nous nous attendions à une randonnée bien ordinaire. Une journée pour faire de la photo... Ce fut aussi une journée très instructive. 

Roseman Bridge : un personnage du film The Bridges of Madison County


Des fleurs pour Francesca



Traces de passages...

Étape suivante : La traversée du Missouri - Omaha

vendredi 24 juin 2011

Starved Rock State Park

Jour 11 : 9 juin 2011

Les grands explorateurs français de la Nouvelle-France


Les premiers Européens qui ont exploré tout le territoire que nous visitons depuis trois semaines ont été des Français : des explorateurs, des aventuriers, des coureurs de bois. Ces derniers ont commercé avec les autochtones et certains ont établis des racines. Ils y ont pris femme et fait des enfants, leur laissant leurs noms. Au sud de l'Illinois, ils ont établi des fermes, des villages et des forts plus permanents. On trouve aussi leurs traces partout : noms de lacs et rivières, de villes et de villages, de rues... Des Moines, Belle Plaine, Belle Fourche, Eau Claire, Cœur d'Alène.

La mémoire est une faculté sélective. La mémoire des peuples choisit de cultiver certains souvenirs plus que d'autres; elle évolue aussi avec le temps. Les gens de cette grande  région des plaines du Middle-West que nous explorons à notre tour, au début du 21è siècle, savent que l'origine de beaucoup de ces noms est française. Ils n'en savent guère plus cependant. Les Américains sont en général assez discrets sur le rôle qu'ont joué les Français dans la région.

Nous aurions pu aller voir le monument qui commémore la fondation du premier établissement européen par les Français sur le bord de la rivière Détroit, le Fort Pontchartrain. Ce petit monument est situé dans un grand parc au cœur de la ville du même nom. Ce n'était pas dans nos priorités, d'autant moins que ce n'était guère pratique pour nous de s'y rendre.

Nous avions l'intention d'aller visiter le musée municipal de la ville de Niles, à mi-chemin entre Détroit et Chicago; il était fermé le jour où nous sommes passés dans la région, un dimanche. Nous y aurions trouvé, selon la description du musée, une exposition sur des objets qu'on a trouvés lors de fouilles effectuées sur le site de l'ancien Fort Saint-Joseph. Ce dernier faisait partie d'un réseau d'établissements du temps de la Nouvelle-France.

C'est plutôt à Chicago que nous avons trouvé les premières mentions du passage des Français dans la région. Jacques Marquette, Louis Jolliet, De La Salle et le Chevalier de Tonti ont reconnu l'importance stratégique, sur un plan commercial et militaire de ce qui deviendra la ville de Chicago.


Plaque ornant le Pont McCormick, sur la rivière Chicago, reliant North et South Michigan Ave

Starved Rock State Park

Au Starved Rock State Park, le centre d'interprétation du parc présente une exposition des aspects marquants du site : sa géographie, son histoire géologique, et un diorama grandeur nature du passage il y a plus de trois siècles, des grands explorateurs Jacques Marquette et Louis Jolliet et de leur rencontre avec les autochtones de la région. De La Salle et de Tonti avaient relevé l'importance stratégique du site qui surplombe la rivière des Illinois. De Tonti avait d'ailleurs construit un fort sur le rocher de Starved Rock, le Fort Saint-Louis, qui a été abandonné deux ans après sa construction. Les autorités locales ont d'ailleurs effectué des fouilles sur le site du fort il y a quelques années. Ils ont exposé quelques pièces qu'ils y ont déterrées au centre d'interprétation du Parc.

Des milliers de collégiens québécois ont lu le roman Volkswagon Blues, de Jacques Poulin. Ils se souviendront probablement du chapitre du livre où on raconte une histoire très triste qui est associée à ce lieu : celle de membres d'une tribu amérindienne qui se sont réfugiés sur un rocher, pour échapper à la poursuite des guerriers d'une autre tribu. Ils pouvaient mieux s'y défendre, mais le lieu était dépourvu d'eau et de nourriture abondante. Ils ont préféré se laisser mourir de faim plutôt que de se rendre. D'où le nom du lieu.

Aujourd'hui, le parc public de Starved Rock est un lieu prisé par les amateurs de randonnées pédestre. On y trouve un réseau de sentiers, dont certains sont longs et ardus, qui sillonnent des boisés et des canyons. On y trouve plusieurs chutes d'une hauteur appréciable.  J'y ai fait une courte randonnée de trois heures. Il faut se prémunir contre les maringouins avant d'y entreprendre une marche.  


Le débit d'eau des chutes est plutôt mince, sauf tôt au printemps, à la fonte des neiges.

Nous avons passé la nuit au camping du Parc, avant de poursuivre notre traversée de l'Amérique vers l'Ouest. Prochaine étape, l'Iowa, et la ville de Des Moines.

lundi 20 juin 2011

Jours 8 à 10 - Chicago



Deux jours à Chicago et un jour de récupération


Dès qu'on descend du train de banlieue à la station LaSalle au cœur du quartier financier de la ville de Chicago, on change de rythme de vie. Ici, pas question de « slow travel » ou de « slow food », ou de ralentir... on accélère, brusquement, tout de suite! 



Nous avions raté le train que nous voulions prendre, parce que nous avions sous-estimé le temps qu'il nous faudrait pour trouver un stationnement près de la gare à Joliet, en banlieue ouest de Chicago, où nous campons -- un très bel édifice soit-dit en passant. Nous avons donc marché tranquillement dans les rues de Joliet; le temps de saluer la statut de Louis Jolliet devant la bibliothèque de la ville. Le train prend lui-même du retard. Nous n'arrivons donc à Chicago que vers la fin de l'avant-midi. C'est par instinct que je décide d'entrer dans un restaurant un quart d'heure avant midi.



Déjà, il y a du monde. Pas le temps d'étudier le « menu ». Il faut décider rapidement... les gens derrière nous attendent... ils savent ce qu'ils veulent... ils n'ont qu'une heure pour le lunch... ils doivent remonter vite dans les tours de verre et de béton pour retourner au travail. Il faut aussi manger rapidement. Les employés ne perdent pas de temps pour nettoyer. Tout roule... vite... Pas question de prendre un café ici. D'ailleurs, ils ne font pas de café espresso. Il faudra chercher ailleurs. Vivre à Chicago, c'est vivre intensément.

Il nous semble qu'on marche peu aux USA. On demande des directions pour se rendre dans le secteur du Navy Pier. On nous recommande de prendre un taxi. C'est trop loin pour marcher, selon nos interlocuteurs. Nous sommes habitués à marcher. Mais la chaleur, en ce début juin, est exceptionnellement très chaude. Nous cherchons le côté ombragé des rues. Nous retrouvons notre propre rythme. Nous prenons notre temps. Nous arrivons à notre destination, sans avoir pris de taxi.

Il ne faut pas se méprendre : les « locaux » sont serviables, chaleureux, ils veulent vous aider, vous guider... ils n'ont pas peur des étrangers... mais ils ne sont pas habitués à entendre des langues étrangères, comme le français. Ils cessent d'écouter dès qu'ils décèlent un accent avec lequel ils ne sont pas familiers.

S'il y a un aspect de Chicago qui retient l'attention dès qu'on descent du train, c'est l'architecture. La beauté des édifices, les anciens tout autant que les plus modernes, est remarquable. On s'étonne de la diversité, de l'imagination, et de la richesse du patrimoine architectural de cette ville. Les architectes ont rivalisé d'imagination. 




Nous n'avons pas l'habitude de faire des visites guidées, que ce soit par autobus ou par bateau selon le cas, des villes que nous explorons pour la première fois. Une fois n'est pas coutume : nous nous embarquons sur une croisière d'une heure sur les canaux et rivières qui sillonnent cet ancien marais qu'était Chicago, avant qu'on y établisse une ville. Le guide connait sa matière : l'histoire de la ville, de chacun des principaux édifices. Un vrai ravissement que de circuler au cœur de canyons de verre et de béton, littéralement rafraîchissant lorsque les thermomètres publics indiquent 97 Fahrenheit.

Nous passons le reste de l'après-midi en flânant, tout en nous dirigeant tranquillement vers la gare. Nous reprenons le train de banlieue pour retourner à notre terrain de camping, le Leisure Lake Membership Resort, à Joliet, Illinois.


Deuxième journée

La chaleur est tout aussi intense le lendemain. Une belle journée pour visiter le Chicago Art Institute (CAI). Mais avant d'entrer dans le musée, nous traversons dans le Millenium Park : une visite à Chicago serait incomplète sans y passer quelques moments, si ce n'est pour aller s'amuser autour et sous le Cloud Gate -- une sculpture en forme de haricot, en aluminium... Un moment ludique incomparable... un rêve pour les photographes.


Tout comme celui de Détroit, il faut plus d'une journée pour visiter un musée des beaux-arts comme le CAI. Nous nous concentrons donc notre attention aux galeries consacrées à l'art autochtone américain et à celle de l'art américain de la première moitié du 20è siècle.

La galerie d'art américain du CAI est beaucoup moins diversifiée et complète que celle du Detroit Institute of Art (DIA). On y trouve toutefois des œuvres de très grande qualité. Contrairement à celle du DIA, on n'y présentait pas un aperçu de la continuité entre le présent et le passé des populations autochtones des Amériques. Par contre, en examinant des costumes cérémoniaux très richement décorés, d'une grande finesse, des peuples des Plaines notamment, il m'est venu à l'esprit que ce serait probablement une bonne idée d'organiser une exposition de costumes de divers peuples du monde entier, à diverses époques de l'histoire dans chacun des cas : on relativerait ainsi le regard que l'on porte sur l'étrangeté de certains costumes d'apparat, de cérémonie (politique ou religieux). Cela nous apprendrait à lire les costumes, à les percevoir comme des œuvres d'art, au même titre que des tableaux.





Pour nous rendre de la galerie d'art autochtone à celle de l'art américain, il faut monter un étage et traverser plusieurs autres galeries. Les impressionnistes sont toujours irrésistibles, bien que d'autres galeries peuvent tout aussi bien distraire. Tout dépend des goûts de chacun.





La visite de la galerie d'art américain du CAI complète celle que nous avions faite de la galerie d'art américain du DIA. Celle du DIA expose des œuvres des 18è et 19è siècles. Celle que nous avons visitée au CAI expose des œuvres de la première moitié du 20è siècle.


La journée passe vite. Nous sommes arrivés plus tôt, et nous partons plus tard, épuisés.

La troisième journée...


nous décidons qu'il fait trop chaud pour retourner en ville. Nous sommes convaincus que nous reviendrons un jour à Chicago. Nous passons la journée au camping, à lézarder... avant de reprendre la route... vers Starved Rock State Park, en Illinois.

vendredi 10 juin 2011

Jours 6 et 7 : Sur les routes...

Sur la route... au Michigan, à l'heure du lunch by fernanc - old man heading west

Entre Détroit et Chicago

Lorsque nous avons quitté notre camping en banlieue ouest de Détroit, nous aurions pu atteindre Chicago au cours d'une seule journée. Nous avons choisi de le faire en deux jours.

C'est un voyage au long cours que nous effectuons. Des centaines, des milliers de kilomètres -- et puisque nous sommes aux USA, quelques milliers de milles. Nous nous sommes rendus compte à l'automne dernier en France, que pour ce genre de voyage, il est important de se rythmer. Il est facile de s'épuiser si on n'y porte pas attention. La fatigue peut ruiner le plaisir, atténuer les sens... On devient impatient, on n'écoute plus, on regarde mais on voit moins, on se ferme l'esprit.

C'est pour cette raison que nous nous éviterons, autant que cela est possible, d'additionner les milles au cours d'une même journée : trois heures de route, si nécessaire quatre... Exceptionnellement, et parce que nous n'aurons pas le choix, il y aura des journées où nous devrons accumuler cinq heures de route ou plus. Nous nous relayons derrière le volant et nous nous offrons le luxe de pauses fréquentes.


Le paysage du Michigan ressemble à celui de la province voisine, l'Ontario, que nous connaissons très bien. Mais les aires de repos installées le long de la I-94 sont très différentes de celles parsemées le long de la 401, de la frontière du Québec jusqu'à Windsor. Les centres de services de l'Ontario sont commerciaux. Les aires de repos du Michigan offrent des services essentiels : toilettes, tables de pique-nique. Elles sont bien aménagées. C'est dans ce décor très agréable que nous avons diné, dehors, sur une table de pique-nique, à l'ombre, par une belle journée ensoleillée.

Ce qui étonne aussi en voguant sur l'autoroute I-94 au Michigan, c'est le nombre de carcasses d'animaux morts qu'on observe sur le bord de la route : des chevreuils (cerfs de Virginie) surtout, mais aussi des animaux plus petits. Quiconque a déjà vu un chevreuil traverser la route devant soi alors que la voiture file à 100 km/h, sera partagé entre l'admiration et la crainte. On est impressionné par la beauté et l'agilité de l'animal. Mais on comprend vite à quel point une collision avec un chevreuil peut être dangereuse, voire fatale autant pour l'animal que les personnes qui se retrouvent dans le véhicule. Ce n'est qu'en Illinois qu'on dresse des affiches sur le long des routes, pour recommander la prudence à l'égard des animaux comme les chevreuils. De façon curieuse, nous avons observé beaucoup moins de cadavres d'animaux dans les autres états.

Nous avons quitté l'autoroute I-94 afin de faire le plein d'essence. C'est à ce moment que nous avons choisi de rouler vers le sud plutôt que vers l'ouest, sur des routes secondaires moins achalandées, à deux voies qui s'opposent, en direction de l'Indiana et de notre terrain de camping tout près de Grand Bend. Nous y sommes arrivés assez tôt en après-midi, même en s'arrêtant sur le bord de la route, pour faire une petite épicerie.

Nous y avons demandé si nous pouvions payer avec un chèque de voyage d'American Express. La gérante du magasin nous a raconté qu'elle avait utilisé des chèques de voyage lorsqu'elle avait accompagné son mari en Europe à plusieurs occasions, alors que celui-ci travaillait toujours pour IBM. « But you know, these times are over now... », a-t-elle ajouté, d'un ton nostalgique, résigné... Nous n'avons pas cherché à connaître ce que signifiait cette remarque.

Le lendemain, un dimanche, nous reprenons la route... sans nous presser : de nouveau l'autoroute, la I-80 cette fois, jusqu'à Joliet, en banlieue ouest de Chicago.

Juste avant de passer de l'Indiana à l'Illinois, nous nous sommes arrêtés encore une fois dans une aire de repos : un centre de service où on a le choix de fréquenter plusieurs restaurants... pas de table de pique-nique. Nous mangeons dans notre autocaravane, à côté de camions beaucoup plus gros.



Encore une fois, nous arrivons tôt au camping. Nous y passerons quatre jours avant de reprendre la route. Il fait chaud, très chaud : le thermomètre oscille entre 30 et 36 C. On se repose... le lendemain, nous entreprenons notre visite de la ville de Chicago. Nous commençons une deuxième semaine de voyage.

mercredi 8 juin 2011

Jour 5 - 3 juin 2011

Murale de Diego Rivera au DIA by fernanc - old man heading west


Visite du Detroit Institute of Arts

Détroit a tellement mauvaise réputation que nous allions contourner la ville sans nous y arrêter. Ç'aurait été dommage.

Il y a quelques semaines, en fouinant sur l'Internet, j'ai lu un article dans un site d'information « alternatif » : on y faisait état des efforts de groupes de citoyens pour revitaliser leur ville, Détroit. Quelques jours plus tard, j'ai lu un autre article, dans le New York Times cette fois, qui suggérait au lecteur quelques endroits à visiter, tout en faisant aussi état de la volonté des autorités municipales de rehausser la réputation de leur ville. J'ai donc poursuivi ma recherche. C'est ainsi que j'ai décidé d'insérer une courte visite de cette ville dans notre itinéraire de voyage.


C'est dans le cadre de ma recherche que je découvre le DIA. Une visite au Detroit Institute of Arts s'impose à mon esprit  pour trois raisons principales : sa galerie d'art amérindien, le hall des murales de Diego Rivera et la galerie d'art américain.



La galerie d'art amérindien


Je me dirige vers les grandes plaines de l'Ouest, chez les descendants de ses premiers habitants. Une visite de la galerie d'art amérindien (Native American) du DIA constitue une excellente première étape à cette exploration. 

C'est une collection bien montée. On y trouve une grande variété de pièces, bien présentées, qui nous offrent un bon aperçu de l'univers des peuples autochtones du continent nord-américain dans son ensemble. Un examen des pièces nous inspire un grand respect des cultures des peuples autochtones : la qualité de l'ouvrage et l'application sur le plan stylistique est impressionnant. Les concepteurs de la galerie ont eu le souci de nous présenter des œuvres qui proviennent de toutes les régions de l'Amérique et de toutes les époques, des plus lointaines au plus récentes. Ce qui impressionne, entre autres, c'est qu'on s'est efforcé de montrer la relation entre les œuvres du passé et celles d'artistes autochtones contemporains. Des artistes contemporains étudient le passé de leurs nations, et s'en inspirent pour créer de nouvelles œuvres, tout en intégrant l'acquis de techniques, des outils et des matériaux modernes.


Au cours de cette visite, une horde de jeunes écoliers a envahi la galerie. Les jeunes, de niveau secondaire, couraient à travers la galerie. Ils ne prenaient pas le temps d'examiner ou de contempler les pièces qui y sont exposées. Leurs commentaires témoignaient des préjugés courants à l'égard de l'art amérindien. De toutes évidences, ils n'avaient pas été préparés à apprécier ces œuvres.


C'est à se demander pourquoi on amène des groupes de jeunes à visiter un musée dans de telles conditions. Les deux enseignants ou accompagnateurs avaient de la difficulté à contrôler le groupe. Je ne connais pas le contexte de travail de ceux-ci : ont-ils les ressources et le temps nécessaire pour préparer leurs classes avant la visite? Connaissent-ils le sujet? Ont-ils accès aux ressources pédagogiques qui les soutiendraient dans leur travail? Quelle perception auront les jeunes de leur visite en sortant de la galerie? Heureusement, la horde a passé vite et n'a pas laissé de traces.


Portrait par Eanger Irving Couse, 1910 (peinture à l'huile sur toile), œuvre exposée au DIA dans la galerie des œuvres d'art amérindien



Plusieurs œuvres ont retenu mon attention pour diverses raisons. Le portrait du Chef David Shoppenagons, un Ojibwé du Michigan, m'est apparu significatif. Il est de 1910. On n'indique pas si c'est une peinture d'un artiste amérindien. Tout ce qu'on dit, c'est que le Chef a choisi de se présenter tel qu'il apparaît sur la peinture, avec l'aviron, symbole de son métier de guide de pêche. C'est un homme de fière allure. Qui d'entre nous ne soigne pas son apparence lorsqu'il pose pour la postérité? Les costumes que nous portons sont révélateurs de notre statut au sein de notre groupe d'appartenance : le rôle que nous y jouons, la profession que nous exerçons, le statut social, la classe, l'aisance... Les habits des hommes et femmes d'état, d'affaires, ou de religion, sont généralement beaucoup mieux faits et plus luxueux que ceux du monde ordinaire. Ce fut la même chose chez les peuples amérindiens.


Fronton d'une maison Kwakwaka'wakw (Kwakiutl, Colombie britannique), œuvre exposée au DIA dans la galerie des œuvres d'art amérindien




La galerie d'art américain

Je ne connais pas grand chose de l'art américain. Je m'estime donc heureux d'y avoir été introduit en visitant la galerie d'art américain du DIA. Elle est organisée par thème et par époques. On y acquiert un point de vue historique, non seulement de l'évolution de la peinture américaine, mais aussi de l'évolution de la perception que les artistes de ce pays ont eu d'eux-mêmes et de leur pays, de leurs relations entre eux et de leur relation avec leur environnement.


Wolf River, Kansas, tableau de Albert Bierstadt, environ 1859, huile sur toile, Galerie d'art américain, DIA


Ainsi, on explique que l'art américain de la deuxième moitié du 19è siècle avait tendance à représenter les peuples amérindiens comme de nobles sauvages, condamnés à l'extinction. Je ne suis pas convaincu que cette perception ait guère changé depuis cette époque. Je me souviens, notamment, de l'image qu'on en véhiculait dans le cinéma de la première moitié du 20è siècle. Cette perception n'a commencé à changer qu'au cours du dernier quart de siècle. La réalité, selon le point de vue historique qu'on adopte, est beaucoup plus complexe.

Sur un autre plan, la représentation de la nature il y a deux siècles, au début de la constitution du pays, lorsqu'on le fabriquait, était celle d'une nature sauvage, imposante, menaçante... Peu à peu, à mesure qu'on la domptait, cette perception évoluait. La nature devenait plus idyllique. On avait surmonté la peur de cette inconnue. 




La salle des murales de Diego Rivera

On ne peut visiter le DIA sans passer du temps à contempler les murales que Diego Rivera a réalisées sur place en 1932-1933. C'est une œuvre monumentale. Nous avons la chance d'y pénétrer au moment où il n'y avait pratiquement personne. Des employés y installaient des chaises pour un concert en soirée. Un homme s'est présenté : M. Crugher, un « docent », c'est-à-dire un guide qui nous a présenté l’œuvre, son histoire, sa richesse, ce qu'elle exprime, les détails qui racontent l'époque... une œuvre fascinante.


La journée précédente, nous avions visité le Greenfield Village : un village représentatif de l'émergence de la révolution industrielle occasionnée par la conjugaison des systèmes techniques de la machine à vapeur et de l'électricité, qui permettrait l'invention du processus continu de fabrication industrielle... l'alliance de Edison et de Ford. La salle des murales de Diego Rivera nous montre un autre aspect de cette évolution. 

À l'époque où Rivera crée son oeuvre, au début de la Grande Dépression, l'Amérique est secouée par les grandes luttes syndicales. Il y a des morts sur les lignes de piquetage et les marches contre la pauvreté. Les « gardiens de sécurité » employés par les grands industriels, y compris M. Ford et son fils, n'étaient pas des enfants de cœur, et la police agissait plus souvent pour le compte des entrepreneurs que pour celui des citoyens. Chaque peuple occulte des aspects de son histoire. On a tendance à considérer pour acquis des droits qui ont été conquis suite à des luttes pénibles, souvent sanglantes. 

Il n'y a guère plus de cent ans que les enfants ne complétaient pas leur cours primaire et qu'ils étaient engagés dès l'âge de dix ans dans les nouvelles manufactures, parfois moins, dans des conditions qu'on considéreraient inhumaines aujourd'hui. Ce n'est pas par générosité d'esprit de la part des nantis et des puissants que le changement est survenu. Cette œuvre de Rivera est là pour nous le rappeler : heureusement, puisqu'on n'enseigne plus l'histoire sociale dans nos écoles.


Détail d'une des murales de Rivera. Rivera s'est représenté lui-même dans sa murale, avec un marteau et des gants ornés d'une étoile rouge, les emblèmes du mouvement communiste. Lorsqu'on l'a porté à son attention, il a riposté en demandant : « Les gants que portent les ouvriers dans les usines ne sont-ils pas fabriqués par la compagnie Red Star? » Il était très apprécié par les ouvriers des usines, dont certains se reconnaissaient dans son œuvre. Œuvre exposée au DIA.

C'est la classe moyenne, que Ford a contribué à créer, qui a fait la grandeur de l'Amérique. Le « docent » nous explique qu'à cette époque, il n'était pas nécessairement mal vu de se présenter comme progressiste. C'est la campagne de Joe McCarthy qui a modifié l'atmosphère au cours des années 50. Il est mort dans la disgrâce, mais il a gagné sa guerre. Ceux qui étudient l'histoire savent que le flux de l'histoire, comme la marée, peut changer de direction.




Le DIA et son milieu

Le DIA est une institution dynamique. Elle est située au cœur du centre culturel historique de Détroit. Dans ce même quartier, on trouve la Wayne State University et un ensemble de musées : un musée des sciences, de l'histoire de la ville de Détroit, etc...de quoi y passer plusieurs jours.


Nous avons suivi le conseil d'une des jeunes femmes au comptoir de la billetterie et nous nous sommes rendus au restaurant Good Girls Go to Paris pour diner. C'était un bon conseil.


En nous promenant dans les environs pour nous y rendre et après le repas, nous avons été surpris de la tranquillité du quartier. La circulation automobile était faible et il n'y avait pratiquement pas de piétons. Le quartier semblait mort. Il est vrai que c'est un quartier étudiant, mais tout de même...


Nous avons cependant croisé un employé de l'université, qui nous a parlé un peu de « sa » ville : comment c'était autrefois une belle ville; qu'on venait de Chicago en admirer l'architecture, et s'animer de son esprit. Oui, il y a une volonté de revitalisation, mais cela prendra du temps, nous a-t-il dit. Il ajoutait, d'un air un peu résigné, teinté d'humour noir : « Plus personne ne conduit de voiture américaine aujourd'hui, sauf peut-être les Japonais... »

samedi 4 juin 2011

Jour 4 -- 2 juin 2011

Eagle Tavern by fernanc - old man heading west

Visite au Greenfield Village à Détroit

Lorsque nous nous sommes inscrits au camping Detroit Greenfield RV Park en banlieue de Détroit, j'ai demandé aux deux personnes à l'accueil si la visite du complexe Henry Ford en valait la peine. Elles ont esquissé un grand sourire, celui des personnes qui connaissent un secret qu'elles veulent bien partager. Elles m'ont assuré que oui, mais qu'il nous faudrait prévoir d'y passer beaucoup plus qu'une journée pour tout voir.

Visiter le Greenfield Village, c'est faire un voyage dans le temps. On retourne à l'époque où Thomas Edison et Henry Ford inventaient respectivement l'ampoule électrique et l'automobile, tandis que les frères Wright devenaient les premiers à s'envoler dans le ciel et que Noah Webster rédigeait un nouveau dictionnaire de la langue américaine. 

Noah Webster est présenté comme étant le maître d'école de la nation. Est-ce qu'on respecte toujours autant aujourd'hui les maîtres et maîtresses d'école de la nation comme le faisaient les générations qui nous ont précédés.







 
C'était une période magique pour une nation encore jeune, qui venait de sortir de l'épreuve traumatisante d'une guerre civile, qui croyait dans sa destinée; c'était une société qui se voulait ouverte et accueillante, qui s'épanouissait : tout était possible... un modèle pour le reste de l'humanité. On croyait à l'Amérique, à ses espaces immenses, ses richesses, son potentiel... 

Il y a, bien entendu, deux côtés à toute médaille. C'est probablement une tout autre histoire, un tout autre point de vue que les descendants des premiers habitants du continent nous raconteront de cette même époque lorsque nous traverserons les grandes plaines dans quelques semaines.

***

Henry Ford est devenu très riche en inventant le processus continu de fabrication des automobiles. Au cours des années 20, il décide de financer non seulement la construction d'un musée, mais aussi la reconstitution d'un village typique des États Unis de la fin du 19e siècle. Il fait démonter et reconstituer le laboratoire de son ami Thomas Edison, ainsi que d'autres édifices typiques de cette époque : le magasin général, les ateliers de mécanique générale, une ferme, etc. 

Le complexe Henry Ford est une institution d'éducation populaire; toute personne curieuse de mieux connaître une version de l'histoire et de la société américaine d'il y a une centaine d'années y apprendra bien des choses. 

La « Sarah Jordan Boarding House » est un des premiers établissements à avoir bénéficié de l'éclairage électrique. Plusieurs ouvriers célibataires qui travaillaient dans les laboratoires de Thomas Edison y logeaient et s'y amusaient dans leurs heures libres.


C'est étonnant de constater à quel point on prend pour acquis plusieurs de ces inventions qui ont élaborées, expérimentées et mises en oeuvre à grande échelle à cette époque.




Reconstitution de la centrale électrique expérimentale de Thomas Edison. Il fallait générer beaucoup de pouvoir pour illuminer une ville artificiellement la nuit.



Il est intéressant de se promener ainsi, pendant toute une journée, et de jaser avec les « guides ». C'est là qu'on découvre un autre visage de l'Amérique : celui de l'Amérique d'aujourd'hui. L'observateur qui écoute et observe attentivement pourrait soupçonner qu'il y a des fissures sous la façade. De tous petits détails sont révélateurs. 

Un grand nombre de ces « guides/présentateurs » sont des personnes assez âgées. C'est bien et c'est là un grand avantage d'avoir des personnes qui ont connu une autre époque pour parler aux plus jeunes en connaissance de cause de certains aspects de la société d'il y a un siècle. Par contre, certains commentaires de ces guides, glissés au sein d'une conversation nous suggèrent un autre portrait de l'ambiance qui règne au sein de l'Amérique d'aujourd'hui. 

Certains apprécient d'avoir un emploi à temps partiel, pour une partie de l'année : « Cela me tient occupé », de dire un tel. Celui-là connaît très bien l'édifice où il « travaille », ainsi que la fonction qui y est attachée. Il a plaisir à expliquer comment fonctionnait tel appareil, quelle était son importance. L'autre, dans la bâtisse d'à côté, est mal à l'aise lorsque nous lui demandons des questions trop précises. Tel autre déplore le fait que les guides ont un horaire et qu'ils ne sont pas assignés à une tâche particulière; ils doivent apprendre plusieurs routines. La rotation les importune. Un dernier se sent obligé de justifier son comportement devant un superviseur. 

Lorsque nous exprimons l'avis, d'un ton léger, que ce doit être un plaisir de conduire une vieille voiture Ford d'époque, un autre répond poliment, sans le dire expressément, que c'est un emploi, pas très bien rémunéré.



Combien de ces gens, dont certains étaient des professionnels à une époque récente, travaillent plus par obligation que par intérêt? On devine que la crise économique se profile en arrière-plan. 

On est loin de l'atmosphère qui régnait dans ce même pays il y a cent ans.



mercredi 1 juin 2011

Départ - Jours 1, 2 et 3

Départ  by fernanc - old man heading west
Départ , une photo de fernanc - old man heading west sur Flickr.

Le 30 mai, nous partons à nouveau pour un long voyage de plusieurs semaines. Nous irons jusqu'au Pacifique, en traversant les Grandes plaines américaines et les Rocheuses. On franchira les frontières non seulement du Canada et des USA, mais aussi celles de nombreux états américains. 


Moins de quinze minutes après le départ, nous traversons la première, celle de l'Ontario et du Québec -- photo du Pont Champlain, entre Ottawa et Gatineau, ci-haut.


...


Depuis trois jours, nous avons parcouru environ 900 kilomètres.


Le deuxième jour, nous avons fait une escale à l'usine où fut fabriquée notre autocaravane il y a sept ans : une Roadtrek 200 Versatile. Ce véhicule deviendra notre appartement mobile au cours des prochaines semaines. Notre guide nous a expliqué que l'activité dans l'usine était beaucoup moins intensive aujourd'hui qu'il y a trois ans. Ils fabriquent une douzaine de véhicules récréatifs par semaine présentement; il y a trois ans, le rythme de production était plus du double -- trente-deux par semaines, lorsqu'ils fonctionnaient à pleine capacité. La crise économique a touché l'industrie des véhicules récréatifs durement. 


J'ai été particulièrement impressionné du souci de la qualité du produit qu'on livre au client. Notre véhicule est conçu pour durer des années. C'est rassurant.


C'est ce matin, au début de la troisième journée de notre périple que nous avons traversé la frontière américaine, à Port Hope, Michigan.



Le passage à la douane a été relativement facile et rapide. La douanière nous a demandé si nous transportions divers aliments : poivrons, citrons et autres agrumes, tomates. Nous en avons été quitte pour lui laisser deux citrons et une dizaine de petites tomates cerises. Le plus ironique, c'est que nous avons acheté ces produits originaires des USA chez un marchand de fruits et légumes de chez-nous. Cet après-midi, nous avons fait une épicerie aux USA, non loin du terrain de camping que nous avons réservé pour quelques jours. Nous y avons trouvé des tomates cerises, importées du Mexique... allez y comprendre quelque chose.


Demain, c'est dans le temps que nous irons voyager : nous nous baladerons dans une reconstitution d'un village américain composé d'édifices datant de la fin du 19e siècle. Le lendemain, nous avons l'intention d'aller visiter le Detroit Institute of Art.



À suivre...

jeudi 3 mars 2011

La fleur de lys sur son sac de dos...

Le Moyen-Orient bouillonne depuis quelques semaines.

Je pense souvent à ce jeune homme que nous avions croisé l'automne dernier, à la sortie du camping de Bordeaux-Lac, à l'arrêt de la ligne d'autobus qui nous amenait au terminus de la ligne de tramway.

Nous jasions de choses et d'autres, ma compagne en moi. Il avait reconnu notre accent. Nous avions entamé une conversation. Deux matins consécutifs. Le temps de nous rendre au centre-ville de Bordeaux.

Ce jeune Montréalais était en train de faire le tour du monde. Comme beaucoup de jeunes gens de son âge, il était à la recherche de soi-même. Je sais ce qu'il en est. J'ai fait un périple semblable, il y a longtemps. Mais ça, il n'avait pas besoin de le savoir.

C'était la première fois qu'il quittait son pays natal. Il avait fait un ou deux voyages en Ontario, dont un à Toronto, avec un groupe scolaire. Il avait visité quelques régions du Québec. Il avait accompagné ses parents lors de voyages de vacances. Bref, il n'avait pas beaucoup voyagé.

Il avait quitté l'île de Montréal quelques mois plus tôt, à la fin de l'année scolaire. Il avait traversé une bonne partie de l'Europe, du Nord vers le Sud, par étapes. Il était dans la région de Bordeaux pour les vendanges... pour gagner quelques euros, pour faire durer le voyage. Il avait l'intention d'aller rejoindre des jeunes de son âge qu'il avait rencontrés quelques semaines plus tôt, et qui l'avaient invité à les visiter chez eux, en Algérie et en Tunisie. De là, il reviendrait en Europe, en passant par Malte, vers l'Italie, où il avait l'intention de passer l'hiver. La famille de son père, qui est Italien d'origine, l'y attendait.

Plus tard, il reprendrait la route, vers l'Ouest, en Asie, afin de retourner au Canada par Vancouver.

Il avouait n'avoir jamais visité l'Ouest canadien. Je lui avais fait remarquer que c'était un bien long détour pour visiter son pays.

Le deuxième matin, il avait toutes ses possessions sur le dos.

J'ai remarqué qu'il avait cousu un drapeau québécois sur son sac de dos. Je l'ai porté à son attention, sans lui demander de justification. Le regard hésitant, il ne savait trop comment répondre. Constatant son état d'esprit, j'ai esquissé un léger sourire et je lui ai expliqué que « dans mon temps », il y a une quarantaine d'années, beaucoup de jeunes Américains arboraient un drapeau canadien plutôt qu'un drapeau américain lorsqu'ils traversaient l'Europe. Et j'ajoutai que, étant donné le positionnement politique du gouvernement canadien depuis quelques années, il ne serait pas tout à fait indiqué d'afficher un drapeau canadien si on avait l'intention de traverser certaines régions du monde, notamment l'Afrique du Nord. Je comprendrais même que beaucoup de ses compatriotes canadiens anglophones puissent songer à l'imiter.

Sa réponse a été, un instant, silencieuse, puis il a sourit.


Ce n'est pas le jeune homme dont il est question dans le texte ci-dessus.
Mais c'est à cet endroit que nous nous sommes quittés pour poursuivre nos chemins respectifs.

lundi 14 février 2011

Écritures éphémères



Bien souvent, une écriture conçue pour être circonscrite dans le temps pourra acquérir une dimension sentimentale qui lui vaudra qu'on veuille la conserver : un billet de remerciement, une carte de souhait, une carte postale...

La plupart du temps toutefois, l'écriture est éphémère... des notes de travail, une annonce sur un babillard, un échange de numéro de téléphone... On ne conserve pas ces écritures. On jettera à la poubelle la première ébauche d'un rapport ou celle d'un compte-rendu d'une réunion, une liste d'épicerie ou de choses à faire... On effacera au cours de la journée même le menu du jour dans un restaurant...



La plupart du temps d'ailleurs, les outils dont on se sert pour ce genre d'écriture... crayon, craie, même les stylos-bille, sont aussi éphémères que les traces qu'ils ont laissées sur un support matériel. Les utiliser revient à les détruire. Pourtant, ils sont omniprésents dans nos vies.



A shorter English version of this text can be found on Rhodia Drive.

samedi 29 janvier 2011

Éphémérides



Je constate qu'il y eut une conférence sur la philosophie de Platon. 

Une gaine de papier-collant enserre une partie de l'affiche sur le poteau de téléphone. Le papier déchiré révèle à l'observateur attentif la dure réalité des marques du temps.

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L'humain abat des arbres, les déforme, les transforme, les informe... il les taille pour en faire des poteaux de téléphone, et il les replante dans le sol, tels de grands crochets, pour tisser des réseaux de fils de métal. Il y stimule des électrons, qui se relaient pour porter des messages éphémères, se codant, décodant, se codant à nouveau, se répondant, se croisant, s'entremêlant, se composant et tournant en rond dans une tour de babel...

L'humain abat aussi ces arbres et les déchiquette pour en faire du papier, sur lequel il imprime des informations, des conversations, des messages, des annonces de vente de garage, de cours de danse, des mots d'amour, des réflexions...



L'humain arrache des tonnes de métal du sous-sol, qu'il raffine, fond, tord, recompose, moule en formes de clous ou d'agrafes ... Il plastifie et enrubanne le pétrole qu'il suce des profondeurs de la terre ...

Les éléments subissent les ravages du temps, se décomposent, lentement...

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La pensée immatérielle, idéaliste, tout en étant matérialisée par les écritures, transposée et entreposée dans les cavernes oubliées de bibliothèques tapissées de volumes de parchemins défiant le temps, traverse les âges miraculeusement...

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En passant le temps, auriez-vous perdu un code?

mercredi 12 janvier 2011

Méditation sur le temps qui passe...

Il y a 23 ans, j'amorçais une nouvelle étape de ma carrière. J'avais obtenu un nouvel emploi qui m'obligeait à rehausser mes compétences en rédaction de textes dans ma deuxième langue, l'anglais. Je m'étais donc inscrit à un cours du soir, Essay Writing, à l'université. 

« On the Eve of Turning Forty », et mon journal d'aujourd'hui...

Le 11 janvier 1988, à la veille de mon quarantième anniversaire, j'ai donc commencé à rédiger un journal en anglais. Quatre mois plus tard, je remettais un « essai » d'une dizaine de pages pour répondre aux exigences de ce cours. Ce texte s'intitulait « On the Eve of Turning Forty ». C'était le bilan d'un homme, encore jeune, qui avait vécu le Flower Power une vingtaine d'années plus tôt, qui avait participé activement aux mouvements sociaux et politiques de son époque... et qui prenait acte de l'embourgeoisement de sa génération, celle qui avait contesté non seulement les guerres impériales et la course aux armements nucléaires, mais qui avaient aussi remis en question le matérialisme ambiant de notre société.
We had questionned the unrestrained materialism of our parents' generation. We had somehow sensed that such wanton consumerism was wasteful and on the long-term ruinous. It took more than a decade before energy conservation became the norm, at least in principle...
... et ainsi de suite. Quelques lignes plus loin, je reconnaissais que le « mouvement » avait ralenti, qu'il s'était essoufflé. J'affirmais que je croyais que l'esprit de ce mouvement demeurait latent, prêt à ressurgir au moment opportun. Je continue de le croire aujourd'hui.

Je relis ces lignes et je constate que je ne me faisais pourtant pas complètement d'illusion.
Time has taught me that we may not yet be any wiser than our precedessors in managing our world, or any part of it.
Vingt-trois ans plus tard, je prends le temps de méditer sur le temps qui passe. 

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Ma génération n'a pas mieux fait que la précédente. Je serais mal placé pour lancer la première pierre de blâme à qui que ce soit. Nous faisons tous partie du troupeau qui se lance aveuglément devant la falaise, prêts à se lancer dans le vide... Nous sommes en crise certes. Mais ce n'est pas uniquement une crise économique : c'est toujours, comme ce l'était dans le passé, une crise de valeurs... de valeurs morales, comme si on avait oublié que l'économie est une science sociale, une science qui comporte des dimensions morales, qui ne se mesurent pas avec des équations.

Mais trêve de mauvaise conscience, et de nostalgie... Malgré l'actualité, malgré les indices du contraire, je me refuse d'accepter que le pire est encore à venir. Mais là, j'ai bien peur de me faire des illusions.

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Je m'interroge sur le temps qui file...

Aujourd'hui je marque le temps qui passe ...
Il y a trois ans, au moment de célébrer mes 60 ans, j'ai recommencé à  rédiger mon journal, à la main, sur une base plus régulière et constante. 

Ce fut là le début d'une aventure. Je ne pouvais pas soupçonner que cette démarche allait m'entraîner sur des sentiers fascinants : ceux de la découverte des dimensions matérielles de l'écriture depuis son invention il y 51 siècles à Sumer.

J'ai conservé une copie papier du texte que je décris ci-haut. Cette semaine, lorsque j'ai relu cet essai sur la quarantaine, j'ai constaté que le texte est imprimé sur du papier. L'encre a pâli. Le papier a jauni. Le texte repose sur une matière fragile. 

Étant donné l'époque, j'ai probablement rédigé un plan au crayon, ainsi que des premiers jets, au crayon aussi, avant de le composer à l'aide d'un ordinateur. Ce n'est qu'au cours de la décennie suivante que je commencerais à rédiger des textes directement à l'ordinateur, sans passer par une étape manuscrite au préalable. Mais je ne sais pas si j'ai conservé ces ébauches manuscrites. Il faudrait que je retrouve le dossier que j'avais constitué pour la rédaction de cet essai. 

Je ne me souviens pas non plus d'en avoir conservé la version électronique. Je sais toutefois que, même si je l'avais conservée, ce ne serait pas facile de décoder cette version électronique afin de réimprimer le texte. Le disque sur lequel ce texte fut enregistré est considéré comme étant une technologie périmée. Depuis cette époque, on a changé plusieurs fois les instruments, les supports et les techniques d'enregistrement. Il serait possible aujourd'hui de recoder ce texte à l'aide d'un instrument qui « lit » un texte imprimé. Mais, contrairement au manuscrit ou à l'imprimé, il me faut un instrument pour décoder ma propre écriture sur un support de nature électronique. L'avènement de ces nouveaux systèmes techniques transforment notre rapport à l'écriture.

Si vous lisez ces lignes, c'est parce que vous êtes, comme moi, connecté au vaste réseau de l'Internet. En 1988, ce réseau, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'existait pas. Il y avait certes un réseau. Il était réservé à un nombre limité d'universitaires et de militaires. Ce réseau n'était pas encore accessible à l'ensemble du monde. Le texte que vous lisez a été rédigé à l'aide d'un ordinateur, par l'intermédiaire de ce réseau universel. Il ne sera pas sauvegardé sur mon propre système domestique. Il est codé, quelque part je ne sais où, dans un gigantesque entrepôt, dans un dédale électronique qui ne laisse pas de trace visiblement tangible. Si je ne l'imprime pas, je n'en aurai pas d'autre copie. Cela m'inquiète, me fait prendre conscience de ma fragilité, de la fragilité de mon univers.

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Ce n'est pas pour satisfaire des élans de nostalgie que j'écris ces lignes. C'est pour marquer le passage du temps. Je m'interroge sur la lecture de mon époque : comment interpréter cette évolution du monde et de ses civilisations? Et notamment, entre autres, parmi les multiples manifestations de ma et de nos civilisaitions, je m'interroge sur l'évolution de l'écriture. 

L'écriture marque nos vies. 

Écrire est un acte physique. L'écriture forme notre cerveau. 

Apprendre à écrire n'a jamais été facile, pour qui que ce soit, et à quelque époque que ce soit. C'est l'un des apprentissages les plus longs et difficiles qui soient. Apprendre à écrire constitue un des passages que nous franchissons au cours de la vie, un des premiers qui nous font passer du monde de l'enfance à celui des adultes. 

C'est ainsi aussi un acte social. Elle informe nos civilisations. L'écriture évolue donc en symbiose avec nos civilisations.

Autrefois, l'écriture matérialisait le langage et nos pensées; elle les codait. Aujourd'hui, la télématique code l'écriture. C'est un des systèmes techniques qui uniformisent le monde contemporain. L'ensemble de ces codes constitue peut-être la base d'une nouvelle civilisation, la première civilisation mondiale, celle de l'avenir...